Article scientifique Dendrochronologie et Histoire

Cervières , Avril 2021

La recherche en archives nécessite énormément de temps, aussi quand une recherche aboutit à une publication, c'est une grande satisfaction.
L'Atelier d'Histoire a la chance de collaborer avec la dendrochronologue Lisa Shindo : son métier consiste à dater des bois anciens.
Notre premier article en commun vient de paraître !

Carottage en cours dans une maison d'alpage des Fraches à Cervières

Carottage aux Fraches, hameau d'alpage de Cervières

 

  • Lisa Shindo est dendrochronologue

Son métier consiste à identifier et dater des bois anciens, par exemple des poutres dans une maison. Pour dater une maison, elle réalise des prélèvements dans plusieurs bois de construction, charpente, linteau, poutres diverses. Elle utilise pour cela une tarière creuse dite de Pressler.

Elle obtient une carotte de bois qu'elle va poncer et étudier afin de :

  • compter le nombre de cernes.
  • mesurer la taille de chaque cerne de l'arbre (un cerne représente une année de croissance).

Puis elle convertit ces résultats en une courbe.

Si le bois analysé est du mélèze, elle compare la courbe de la poutre carottée avec les courbes de référence du mélèze - déjà datées, issues par exemple de carottages effectués sur de très vieux mélèzes toujours vivants.

Il ne lui reste plus qu'à comparer les courbes pour repérer à quel endroit elles se superposent exactement l'une à l'autre.

Ainsi, elle parvient à dater les anciens abattages des arbres et elle montre si la maison est le résultat d'un seul chantier ou de plusieurs étapes de construction.

 

  • La collaboration avec L'Atelier d'Histoire

J'ai rencontré Lisa lorsqu'elle était en Master. Rattachée à l'Université d'Aix-Marseille, elle avait choisi pour terrain de recherches les Alpes du Sud et notamment les Hautes-Alpes. Elle m'a contactée pour me demander de l'aiguiller dans ses recherches en archives puisque je connais bien le territoire et les archives des Hautes-Alpes.

Ensuite, au fil de mes prospections sur le terrain, je lui ai signalé des bois intéressants.

 

Maison-Musée Faure-Vincent de Cervières

 

  • Notre travail commun à Cervières

Nous avons été amenées toutes les deux à travailler à Cervières, Lisa parce qu'elle cherchait des maisons anciennes à étudier, moi parce que j'ai effectué des contrats pour le compte de l'Association d'Etude et de Sauvegarde de la Vallée de Cervières.

En plein inventaire de la collection de la Maison-Musée Faure-Vincent, je m'installe sur le balcon du Musée pour travailler au grand jour (il faisait un peu sombre dans la grange ...) et voilà que je découvre un millésime et des initiales sur les poutres sablières !

La maison date de 1731, elle était à l'époque la propriété de E. F. (probablement un Faure !).

Lisa fait les prélèvements l'année suivante et elle confirme que les bois ont été abattus en 1730 et 1731. Nous avons ainsi confirmation de l'usage qui veut que les charpentiers utilisent du bois vert !

 

Lettres EF sur une poutre sablière

 

 

  • La revue Dendrochronologia

Cette revue existe depuis plus de 30 ans. Elle présente des recherches en anglais sur les cernes de croissance des arbres et des arbustes, dans des domaines aussi divers que l'archéologie, la botanique, la climatologie, l'écologie, la foresterie, la géologie, l'hydrologie.

 

Millésime 1731. Le 3, incomplet, est cependant bien lisible, du 1 ne reste que la partie supérieure.

 

 

  • Lisa Shindo réussit la première datation de pin sylvestre ancien dans les Alpes du sud

Jusqu'à aujourd'hui les dendrochronologues français, suisses et italiens ne parvenaient pas à dater le pin sylvestre alors qu'en Scandinavie au contraire, aucun problème. La raison de ces difficultés est peut-être climatique et/ou génétique. Lisa Shindo est la première à avoir réussi une datation de pin sylvestre dans les Alpes du sud. Pour ce faire, elle a comparé la moyenne cerveyraine de pin sylvestre avec tous les référentiels mélèze (elle a un super logiciel informatique). La courbe des mélèzes des chalets de Buffère s'est avérée la plus proche.

Deux éléments confirment la fiabilité de ces résultats :

La moyenne "pin sylvestre" corrèle également avec d'autres chalets névachais et des mélèzes de l'Oriol de Sainte-Marguerite (Saint-Martin-de-Queyrières), de l'Ubaye et du Mercantour.

Lisa situe l'abattage des poutres sablières en pin sylvestre de la Maison Faure-Vincent en 1730-1731, or l'une d'elles porte le millésime 1731 !

 

Carottes de mélèzes, un cerne annuel = 1 bande claire + 1 bande foncée. Les points noirs et chiffres sont des repères pour étude.

 

  • L'article s'intitule "Des maisons montagnardes bien conçues présentent le seul exemplaire de pin sylvestre daté dans les Alpes du Sud françaises".

L'article étant publié en anglais, en voici un résumé en français.

Jusque dans la première moitié du XXe siècle, le bois est à Cervières comme dans le reste du Briançonnais un élément central de la vie quotidienne. Il est présent dans l'architecture, le mobilier public et privé, les ouvrages d'art et l'outillage : le Musée Faure-Vincent et sa collection de meubles et outils en sont un excellent exemple. La maison est pensée pour faciliter les travaux quotidiens et les déplacements. Le bois apporte ses qualités de résistance tant dans la court pavée en "mélèze bois-debout" que sur l'"airo", aire à battre les céréales, dans les charpentes comme sur les couvertures en bardeaux.  Outre son rôle de fournisseur en bois d'oeuvre et de chauffage, la forêt est aussi un espace pastoral et une protection contre les avalanches.

Dans la vallée de Cervières, six maisons seulement ont été étudiées, il faudra donc compléter ces premiers résultats. Pour la construction des maisons, on a utilisé un peu de mélèze et beaucoup de pin sylvestre. Etant donné que les propriétés mécaniques de ces essences sont proches et que les mélèzes et les pins utilisés sont de mêmes gabarits, c’est sans doute la facilité d’accès à la ressource qui a été privilégiée, plutôt que le choix de l’essence.
Les abattages les plus anciens sont datés de la fin du XVIe siècle, les plus récents du début du XXe siècle. Parmi les poutres antérieures au milieu du XVIIe siècle, on a identifié uniquement des mélèzes, et ceux-ci sont de faibles diamètres. Donc à cette époque, soit il n’y avait pas de gros arbres dans les forêts de Cervières, soit ceux-ci n’étaient pas destinés à la construction locale.

A ce sujet, l'exploitation des fournitures de bois faites pour le compte de l'escarton de Briançon devrait à l'avenir fournir des pistes de compréhension de ces évolutions de la ressource. Par exemple, le compte-rôle de la fourniture en 1601, par 120 Cerveyrains, de bois pour le château de Briançon, donne un aperçu de l'importance de l'exploitation forestière.

Du XVIIIe au XXe siècles au contraire, on utilise aussi bien du mélèze que du pin sylvestre et de toutes les dimensions.

 

Courbes des carottages effectués dans le Musée Faure-Vincent de Cervieres

 

  • Lire l'article et télécharger l'article

L'article dans la revue Dendrochronologia  (lien valable jusqu'à fin mai 2021) :

https://authors.elsevier.com/c/1cwAf3-~MPhLbZ

L'article publié sur HAL :

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03203174/document