Contrebande de sel entre Queyras et Embrunais
Quand j'entreprends une recherche en archives, je trouve parfois des pépites. Celle-ci raconte la contrebande de sel entre Queyras et Embrunais, activité appelée le faux-saunage. Un soir d'hiver 1739, Claude Borel de Molines rencontre les gabelous, les brigadiers du sel qui font la chasse à ceux qui tentent de faire passer du sel du Queyras vers l'Embrunais.
Les faits sont contés dans un procès-verbal conservé aux Archives départementales des Hautes Alpes cote B332.
1. LA FERME DU SEL
2. LA CONTREBANDE DE SEL ENTRE QUEYRAS ET EMBRUNAIS
3. L'HISTOIRE DU FAUX-SAUNIER CLAUDE BOREL
Les gabelous poursuivent l’histoire. «Pendant que nous nous mettions en devoir de charger les susdits ballot sur le dit cheval, Claude Borel a déclaré que le cheval était à luy ».
Le compagnon
Quant à l’homme qui gardait les montures, « nous lui [avons] demandé son nom, qualité et demeure, d’où il était et où il allait » et s’il n’était « pas en portion aux dits ballots ». Il a répondu « se nommer Antoine Vasserot de Fontgillarde, hameau de Molines, qu’il s’en allait à la foire à Embrun et qu’il n’avait point de part à tout ce qu’il pouvait [y] avoir dans les [..] ballots ». Antoine Vasserot explique que « ledit Claude Borel l’avait joint en chemin ». « Il ne savait pas ce qu’il y avait dans les dits ballots » mais s’« il avait pensé qu’il y eusse quelque chose contre les droits du Roy », il n’aurait pas "souffert sa compagnie » !
Pris en flagrant délit
« Et nous ayant chargé les dits ballots, nous avons déclaré audit Claude Borel que nous le conduisions de la part du Roy à Guillestre pour être présent à l’ouverture et vérification des ballots ».
A Guillestre « nous l’avons conduit chez le sieur Jean Salva, hôte de ce bourg [c'est donc un aubergiste]. « Nous avons ouvert lesdits ballots en présence dudit Claude Borel ». Les brigadiers du sel ont trouvé « dans chaque ballot un petit sac demy plein de sel » qu’ils ont fait observer aux deux Queyrassins.
De nouveau, "nous avons demandé au dit Claude pourquoi il portait du sel de Queyras, pays privilégié, à l’Embrunais, pays non privilégié ». Il n’a rien répondu, sinon « en nous priant derechef de lui faire la grâce de le relâcher moyennant […] argent qu’il nous donnerait ». « Et nous voyant la fraude manifeste dudit Claude Borel, nous lui avons déclaré que nous arrêtions sa personne prisonnier ».
« Nous avons pesé le sel en sa présence » 100 livres brut «poids de table». Nous l’avons « cacheté sur les liens des sacs de notre cachet ordinaire dont l’empreinte est » reproduite sur le présent procès-verbal. Invité à faire de même, Claude Borel a refusé. Puis « nous lui avons déclaré que nous saisissions le sel, sacs et cheval [...] aussi bien que sa personne ».
En route vers Briançon
"Et de suite nous [nous] sommes mis en chemin pour porter lesdits sel, personne et cheval à Briançon ». Nous « sommes venus coucher à la Bessée du Milieu, chez la nommée Jeanneton, hôtesse rentière du sieur Vial ».
La fuite
Le lendemain, les brigadiers sont repartis « au point du jour » avec leur prisonnier et le sel chargé sur le cheval. Claude Borel était "attaché derrière le dos par les bras, le bout de la corde tenue" par un des gabelous. A leur arrivée à Saint-Martin, vers le milieu du village, voyant que deux de ses gardiens « étaient occupés à soutenir et conduire le cheval à cause de la glace et mauvais chemin », le contrebandier a « subtilement » coupé la corde qui le maintenait et il « s’est échappé » !
« Nous en étant sur le champ aperçus », Reynaud est « resté à la conduite du dit cheval. Nous Morel et Dumaret avons couru de toutes nos forces après le dit Claude Borel jusqu’au-dessous de La Bessée Basse au lieu nommé Beauregard, c’est-à-dire une lieu et demie au-dessous de Saint-Martin, sans avoir pu l’atteindre ».
« Etant revenus sur nos pas, [nous] avons conduit » le cheval et sel à Briançon. Nous « avons remis le dit sel en mains de monsieur Lachau receveur des gabelles qui s’en est chargé comme dépositaire de justice après l’avoir pesé et vérifié ».
Un piètre résultat ?
L’affaire se termine le 04 janvier 1740 sur « la place aux armes » de Briançon. « Je soussigné greffier des gabelles, ensuite de l’ordonnance de Monsieur Colaud, lieutenant desdites gabelles, rendue ce jourd’huy [...], j’ai exposé et mis en vente à 10 heures du matin le cheval avec ses harnais énoncé dans les procès-verbaux du premier et second de ce mois ».
« Après plusieurs proclamations faites par les employés des fermes à qui voudra acheter les dits cheval et harnais », la « première mise a été faite par Joseph Alphand ». Il a offert «du cheval avec son mauvais [bât] 3 livres et a signé J. Alphand ». Trois autres enchérisseurs se présentent, le dernier étant Raymond Turin qui offre 6 livres.
« Après avoir séjourné 2 heures sur ladite place aux armes, et ne s’étant présenté personne pour surenchérir, nous avons délivré ledit cheval avec son bast audit sieur Reymond Turin pour le prix et somme de 6 livres et a signé avec nous greffier » et employés.
Ce n’est que le 5 avril que Lachau, receveur des gabelles, reçoit des mains du sieur Blanc, greffier des gabelles la somme tirée de la vente aux enchères.
Les archives de la série B n’en disent pas plus. Nous ne saurons pas si Claude Borel a échappé à la prison, s’il a été contraint de quitter Molines pour se soustraire à la loi ou si il a séjourné dans les geôles briançonnaises. Si vous vous rendez au Centre d’Art contemporain de Briançon, pénétrez dans les deux cachots du rez-de-chaussée, en mémoire des faux-sauniers de la région qui y ont connu des jours difficiles.
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